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Tristan Morel - Urbaniste

La question berbère en Algérie

, 19:33pm


Université Paris IV Sorbonne - Institut de Géographie

Géopolitique et aménagement





Ali Sadallah et Tristan Morel

Sous la direction du Professeur Dumont

23 mai 2006





Nous avons voulu aborder la « question berbère en Algérie » car il s’agit pour nous de révéler la teneur et les origines d’un conflit sans nom, opposant l’Etat algérien et la « minorité » berbère contestataire de Kabylie. Nous voulons contribuer par notre travail universitaire, à construire une mémoire  factuelle et critique permettant de mieux se resituer dans un contexte troublé.





SOMMAIRE

 

Introduction

 

Partie 1

 

Tamazight : une identité définie par la langue ou le territoire

           

1/Définition et aires géographiques

2/Répartition des dialectes

 

Partie 2


Des origines à la décolonisation

 

1/Les origines orientales des Berbères

2/ De la conquête arabe à l'Empire almohade, et l’Empire turc

3/Les Berbères aux XIXe et XXe siècles

 

Partie 3


Lendemain d’indépendance

 

1/ Résurgence du fait identitaire berbère

2/ Le soulèvement d’avril 1980

3/ Une nouvelle donne : le terrorisme islamiste

4/ Le soulèvement du printemps 2001

 

Conclusion

 

 


 

 

 

Introduction



L’Etat algérien, le 26 février 2006, a ordonné la fermeture de 42 écoles privées kabyles. La raison invoquée par le président Abdelaziz Bouteflika, étant la demande de conformation à la loi, qui leur fait obligation d’enseigner les mêmes programmes que ceux appliqués dans les écoles publiques de toute l’Algérie. Cette pression s’applique à toute une région de l’Algérie, dont le pouvoir central s’est toujours méfié. En effet, la Kabylie joua un grand rôle dans la lutte contre la France ; elle est de plus le foyer des revendications d’une partie des Berbères. Cette population s’est établie dans tout le Maghreb et sur quelques îles de la Méditerranée Occidentale, dès le VIIIe - VIIe siècle avant Jésus-Christ. Il existe également plusieurs dialectes ou identités berbères ; les deux se confondent parfois, chez les sédentaires comme chez les nomades. Ce sont ces vestiges de nomadisme, qui témoignent de l’ancienneté et des origines orientales des populations berbères. Ainsi, les conquêtes arabe, turque, puis européenne, ne parviendront pas à étouffer cette culture vivace. Lorsque l’Algérie sortit du giron français dans les années 1960, l’Etat nouvellement établi se tourna rapidement vers la culture arabe, celle d’une grande majorité de la population. Or, les Berbères sont un peuple historiquement porteur de revendications, et le renouveau de leur culture dans les années 1960, appellera lui aussi le pouvoir à reconnaître son existence.

La France joua dans ce processus, un rôle important, car elle fut la terre d’accueil de nombreux ouvriers syndiqués et d’intellectuels, arabes ou berbères, qui renforcèrent les rangs des contestataires de l’Algérie française. Cependant, plus cette contestation s’amplifiait, plus elle aiguisait la méfiance du pouvoir central. Celui-ci menait alors une politique proche de celle de nombreux Etats du Maghreb et du Proche Orient : autoritaire et « arabo-centrée ». Or, de nombreux Kabyles entretiennent un lien privilégié avec la France et sa culture, au travers de l’immigration. Celle-ci fut importante dès la colonisation française de l’Algérie. Ainsi, pour de nombreux Kabyles, l’éducation scolaire française représente encore aujourd’hui, une éducation de qualité. Ainsi, s’est développé un réseau d’écoles privées, chères, qui se sont dotées d’un programme et d’un enseignement uniquement francophone. Elles représentent donc pour les enfants des familles aisées, le moyen d’acquérir un passeport vers les universités francophones et anglophones. Elles leur apportent également une reconnaissance locale, ainsi que l’espoir futur de se réaliser en Europe ou en Amérique du Nord, les deux lieux privilégiés de l’immigration Berbère. Plus de quarante ans ont passé depuis l’indépendance, et le choix de privilégier la langue de l’ancien pays colonisateur dans l’enseignement privé en Kabylie, est le révélateur d’une tension profonde dans la société Algérienne, car pour la majorité de la population, ces écoles sont difficilement accessibles et on n’y enseigne pas l’arabe. D’après le quotidien Le Monde, dans l’article daté du 2 Mars 2006, la menace de fermeture de ces écoles planait depuis avril 2005. Les origines de ce conflit se situent donc dans un cadre temporel plus large que celui de l’actualité. En réalité au regard de l’Histoire, l’Etat algérien est en conflit larvé avec la Kabylie depuis l’indépendance ; de longue date, celle-ci est le foyer des revendications identitaires berbères en Algérie. Le pouvoir, depuis Ben Bella, a cherché à uniformiser la société algérienne, dans le sens de la majorité arabe, de l’ « arabité », à l’instar de l’Egypte des années 1950-1960. En réaction, l’on put assister à une revitalisation de la « berbérité », menacée d’être noyée dans la masse de la culture arabe, ce qui a eu pour effet de placer la question du statut de la langue berbère, Tamazight, au centre des revendications kabyles. L’Etat algérien utilisa différentes armes contre ces contestations. Ainsi, la véritable marginalisation que subit la Kabylie depuis l’indépendance, ainsi que la répression courante et violente des manifestations publiques, participe de la politique du traitement en minorité négligeable, qu’applique l’Etat à l’encontre de la population Berbère. Cependant, celle-ci subit un sort plus difficile encore dans certains pays voisins, où son existence est jusqu’à présent, proprement niée. Afin de mieux saisir les sources des différends actuels entre cette population et l’Etat algérien, il faut se représenter l’emprise géographique de cette culture, son histoire, et les évènements qui affectèrent ses relations avec les autres peuples présents autour, et sur le territoire algérien. Par ce raisonnement, nous pourrons dégager les lignes de forces, comme les issues et les impasses de ce conflit.


 

 


I/ Tamazight : une culture que l’on s’approprie par la langue ou le territoire



1/ Définition et aire géographique

 

Les Berbères se donnent le nom d’ « Imazighen », le pluriel d’Amazigh, qui signifie « hommes libres ». A l’exception des Touaregs, ils sont sédentaires. L’Algérie, territoire qui nous concerne ici, compte environ 33 200 000 citoyens, dont 6 millions de Berbères, soit près de 18 % de la population totale. Or la population berbère dépasse largement le cadre du territoire algérien : elle se divise en différents groupes, répartis sur cinq millions de kilomètres carrés, depuis les îles Canaries jusqu’à l’ouest de l’Egypte. Elle est également largement représentée dans les populations issues de l’immigration vers la France, le Canada, les Etats-Unis, la Belgique, les Pays-Bas, et l’Espagne.

 

2/ Répartition des dialectes


L'Algérie compterait environ 35 à 37 % de berbérophones. Cependant, il n'existe pas de chiffres officiels concernant le nombre de berbérophones au Maghreb, mais on estime le nombre de locuteurs à 20 millions, répartis selon la première carte ci-après. Ainsi, on peut détailler ces informations en nous attardant sur les principaux dialectes :

Le kabyle (taqbaylit) est la deuxième langue la plus parlée après le chleuh (surtout au Maroc) avec 3,5 millions en Kabylie, probablement plus de 5 millions en comptant la diaspora. Le chenoui est présent dans l'Atlas blidéen (Beni Salah) à l'ouest d'Alger (15 000 locuteurs). Le chaoui se parle par plus de 1 million de personnes à l'est du pays, surtout dans les Aurès. Le mozabite, se trouve au Mzab dans le sud. Le touareg (c'est à dire les variantes tamasheq) est parlé dans le sud de l'Algérie, le sud est de la Libye, le Mali, le Niger et le nord du Burkina Faso par près de 5 millions de personnes. Mis à part les Touaregs, ces groupes linguistiques se rattachent à un sol qui définit leur identité première. Un Kabyle se revendique tel car il se rattache à la terre de « Kabylie » qui, en arabe,  veut dire « regroupements » dans le sens « ensemble de villages ». L’origine du nom des autres groupes berbères plonge plutôt ses racines dans une histoire tribale, plus que dans celle d’une relation à un territoire. Chaque groupe se rattache enfin à la « berbérité », sorte de seconde identité, par le fait d’utiliser un dialecte berbère. Celui-ci emprunte plusieurs termes à l'arabe et au français, entre autres des noms modernes et des expressions courantes. Les dialectes arabes empruntent également certains de leurs termes au berbère. Cela révèle l’ampleur des échanges entre toutes ces populations, et ce probablement depuis des centaines d’années.

 

Carte de la localisation des variantes berbères en Afrique du Nord

 

Carte de la répartition des populations berbères en Afrique

 

 

 

II/ Des origines à la décolonisation


1/ les origines orientales des Berbères



Au VIIIe millénaire av. J.-C., un type d'homme anthropologiquement proche des habitants actuels du Maghreb fit son apparition. Probablement d'origine orientale, il serait l'une des composantes de la souche berbère. Il se serait étendu d'abord aux parties orientale et centrale du Maghreb, puis en direction du Sahara. On lui connaît des équivalents dans certains pays méditerranéens (civilisation natoufienne).


Au Ve siècle av. J.-C., Hérodote signala l'importance des chars sahariens (berbères). L’occupation du Sahara se poursuivit jusqu’au début de l'époque historique. Au IVe millénaire av. J.-C., les Berbères se répartissaient en une multitude de peuples : Divisés en de nombreuses tribus parfois rivales, éparpillés sur une vaste aire géographiquement morcelée, ils ne purent s'unifier face à leurs conquérants grecs ou carthaginois.

Toutefois, à la fin du IIIe siècle av. J.-C., des tentatives d'organisation politique et d'unification virent le jour ; trois royaumes berbères firent ainsi leur apparition : les royaumes masaesyle, massyle et maure. Le second connut sous le règne de Masinissa (203-148) un grand essor. Mais Rome, installée depuis 146 sur les dépouilles de Carthage, ne pouvait longtemps s'accommoder de ce voisinage. Les Romains l'annexèrent en 40 apr. J.-C. Dès lors et jusqu'en 429, une grande partie de l'Afrique du Nord passa sous leur domination.


La mainmise de Rome ne se traduisit pas par l'assimilation totale des Berbères.

Au IIIe siècle de nombreuses tribus fusionnèrent en confédérations et harcelèrent les Romains, au point que Dioclétien finit par renoncer à la Mauritanie Tingitane ainsi qu'à l'ouest de la Mauritanie Césarienne. Au IVe siècle le schisme donatiste donna aux Berbères un moyen de s'opposer temporairement à la domination romaine. Au milieu du Ve siècle, les Vandales s'emparèrent de Carthage et occupèrent une partie de l'Afrique romaine, la Tunisie et l'est de l'Algérie. L'Aurès, la Kabylie, la Mauritanie et la Tripolitaine ne tombèrent pas sous leur domination et des tribus berbères purent se constituer en royaumes indépendants.

La reconquête byzantine, entreprise en 533, mit fin à la suprématie vandale et, en quelques mois, l'Afrique du Nord redevint romaine. Néanmoins, les Berbères continuèrent leur mouvement d'autonomie amorcé au siècle précédent.


2/ De la conquête arabe (VIIe siècle) à l'Empire almohade (XIIe siècle), et l’Empire turc (XIVe siècle).

 

Les Arabes dans leur conquête de l'Afrique du Nord, triomphèrent des Byzantins et durent combattre le roi berbère Koçeila (683-686) et el-Kahéna, la reine de l'Aurès (695-700). Malgré cette résistance, les Berbères durent s'incliner et se convertir à la religion de leurs conquérants : l'islam. Ils y trouvèrent matière à une tout autre résistance. Par le biais du kharidjisme, ils entrèrent rapidement en révolte contre les Orientaux.

Le mouvement commença vers 740 à l'ouest puis s'étendit à tout le Maghreb. Son ampleur fut telle que les troupes arabes mirent plus de vingt ans à récupérer la seule Ifriqiya. Ailleurs, des Etats indépendants échappèrent au contrôle du pouvoir central abbasside.


L'agitation reprit au Xe siècle au nom du chiisme, que les Berbères adoptèrent en réaction à l'orthodoxie sunnite de l'islam Une autre conséquence du chiisme fut la division des Berbères en deux groupes rivaux. Cette rivalité s'exprima après le départ des Fatimides pour l'Égypte en 973, et, au début du XIe siècle, le Maghreb connut un état de fractionnement politique. Les royaumes berbères se multiplièrent jusqu'au moment où, dans l'ouest du Maghreb, un mouvement berbère cohérent se constitua : le mouvement almoravide. Moins de dix ans après, les Berbères almoravides devinrent maîtres de toute l'Espagne musulmane. L'hégémonie de la dynastie almoravide persista jusqu'en 1147. Un mouvement religieux, apparu en réaction contre les mœurs des Almoravides jugées trop tolérantes, fut à l'origine de la dynastie almohade. Des tribus du Haut Atlas marocain, sous l'impulsion de Mohammad ibn Toumart, réussirent à unifier tout l'Islam occidental, de la Tripolitaine (Libye) à l'Espagne. L'Empire almohade connut son apogée à la fin du XIIe siècle.


A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, le Maghreb retrouva un état de division. Minés de l'intérieur par le retour des grandes confédérations tribales, menacés de l'extérieur par les chrétiens, les États maghrébins de l'Est et du Centre finirent par tomber sous une longue dépendance ottomane.



3/ Les Berbères aux XIXe et XXe siècles


          Aux XIXe et XXe siècles, la puissance ottomane se replie puis disparait d’Afrique. Ainsi, tout le Maghreb passe, pour plusieurs décennies, sous la domination française. Mais depuis l'instauration de l'indépendance des pays de l'Afrique du Nord et de l'Afrique noire, les populations berbères connaissent souvent une situation difficile, tant politique que culturelle, ainsi les Kabyles en Algérie ou les Touaregs en Algérie et au Niger.


          Le clivage arabo-berbère refait surface en 1949. Pour contrecarrer les positions arabistes de leur leader Messali El-hadj (originaire de Tizi-Ouzou), un groupe de militants kabyles de la Fédération de France du PPA-MTLD (Parti du Peuple Algérien - Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) fait adopter une motion défendant « l’algérianité de l’Algérie ». La réaction est sans appel. Les Kabyles sont systématiquement évincés des instances nationalistes algériennes : Hocine Aït Ahmed est remplacé par Ahmed Ben Bella à la tête de l’Organisation Spéciale (OS). Des dizaines de militants sont exécutés sommairement. Les purges anti-Kabyles atteignent leur sommet en 1956 avec l’assassinat de Ramdane Abbane, l’idéologue de la « révolution algérienne ». Homme à poigne, laïc, Abbane est l’inspirateur du  document fondateur du nationalisme algérien moderne, qui affirme : « La Révolution algérienne n’a pas pour but de jeter à la mer les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain. Elle n’est pas une guerre civile ni une guerre de religion. Elle veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique sans discrimination ». Craignant une prééminence, voire une trop grande autonomie de la Kabylie, région dont le dispositif militaire contre la France était probablement le mieux structuré, Mohammed Boudiaf – fondateur du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) – tente en 1954 de fusionner la Kabylie et l’Algérois. Il n’y parvient pas mais son dessein sera réalisé au surlendemain de l’indépendance algérienne.

 

III/ Lendemain d’indépendance

1/ Résurgence du fait identitaire berbère


Elle est le fait d’une poignée d’intellectuels Kabyles francophones qui ne trouvent pas leur place dans une société algérienne en proie à une arabisation forcée. Censurés, pourchassés, ils ont choisi la clandestinité ou pris le chemin de l’exil. Lorsqu’en 1963, le FFS (Front des Forces Sociales) d’Aït Ahmed prend le maquis en Kabylie pour dénoncer le projet constitutionnel élaboré au pas de charge par Ahmed Ben Bella (il proclame l’arabité de l’Algérie et confère au FLN la primauté du pouvoir), l’armée est envoyée sur place. Des centaines de Kabyles sont tués et blessés. Les hauts responsables du FFS sont arrêtés et jetés en prison.


 

« Kabylie »


En 1969, fondée par des militants kabyles, l’Académie Berbère (AB) s’investit dans une vaste entreprise de propagande : réhabilitation d’alphabets utilisés par les Touaregs, lancement du drapeau tricolore (bleu, vert et jaune) et de toute une iconographique berbère (double trident devenu depuis le symbole de la berbérité). Le mouvement trouve une audience en Libye, au Maroc, en pays touareg (Niger, Mali). Mais son discours l’entraîne parfois dans des dérives racistes, comme lorsqu’il demande : «Devrions-nous accepter que notre pays soit arabe, avec tous les inconvénients et toutes les tares que cela entraîne ?

En dépit de ses excès qui en ont fait, aux yeux de certains, une organisation « d’extrême droite », l’AB a joué un rôle déterminant dans la problématisation de la question berbère contemporaine. L’association a indubitablement préparé le terreau du « printemps berbère » de 1980. Elle a réussi à imposer l’idée que les Berbères, habitants « authentiques » d’Afrique du Nord, formaient un peuple à part entière, fondamentalement distinct des « colonisateurs » arabes, revendiquant sa culture, et voué tôt ou tard à recouvrer sa souveraineté.

 

2/ Le soulèvement d’avril 1980


Jusqu’en 1980 cependant, la revendication berbériste en Afrique du Nord reste souterraine, groupusculaire et épisodique. Ses rares lieux d’expression sont les enceintes sportives.

Le soulèvement d’avril 1980 est dit « berbère », mais il est sociologiquement « kabyle ». Il s’est déroulé exclusivement en territoire kabyle, sans faire tâche d’huile, à aucun moment, sur les autres régions berbérophones d’Algérie.  Commencé sur une base principalement estudiantine– c’est l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri à la faculté de Tizi-Ouzou sur la « poésie kabyle ancienne » qui met le feu aux poudres –, le mouvement s’étend vite à l’ensemble de la population. Le 16 avril, Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie, est décrétée ville morte. Les usines, commerces, bureaux, et écoles sont fermés. Sévèrement réprimés après plus d’un mois de lutte ouverte avec le pouvoir central, tenu par le FLN (Front de Libération Nationale), les Kabyles n’ont pas obtenu gain de cause. Cependant, toute une génération de jeunes militants va s’engager spontanément dans la revendication berbériste. À la faveur des bouleversements internationaux de 1989-1990, le champ politique maghrébin s’est ouvert. Des émeutes ont lieu le 5 Octobre 1988, dans toute l’Algérie, pour réclamer plus de démocratie. Multipartisme, liberté d’association, libéralisation de la presse sont autant de nouveaux paramètres qui permirent de mieux structurer la question berbère dans l’espace social et politique.

Le nouveau combat politique va vite s’incarner dans le « Mouvement culturel berbère » (MCB), structure informelle « d’Algériens qui ne se reconnaissent pas dans la définition officielle de l’identité nationale et dans le modèle de société autoritaire et centralisée ». En Algérie, parallèlement aux centaines d’associations berbéristes – principalement kabyles puis chaouies – qui assument cette revendication, deux partis ont inscrit dans leurs chartes respectives la reconnaissance du tamazight comme « langue nationale et officielle » : le FFS de Hocine Aït Ahmed, réhabilité en 1989 après vingt cinq ans d’exil, et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Saadi, issu du MCB.

 

3/ Une nouvelle donne : le terrorisme islamiste


Les années 1990-1994  sont les plus sombres de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Le 11 Janvier 1992, un  putch a lieu contre le vote massif de la population pour le parti du FIS (Front Islamique du Salut). La junte militaire commença les arrestations des islamistes ; des hauts membres du FIS sont incarcérés. En réaction, les militants islamistes s’attaquèrent aux militaires, en prenant soin de ne pas toucher la population. Le pouvoir se lança alors dans un affrontement généralisé. Mais, confronté au vote renouvelé de la population, à 70% pour le parti islamiste, il dut tenter de retourner la situation en sa faveur. De nombreux civils furent tués sans motif, sous étiquette officielle du FIS. Les Kabyles, peu concernés encore par ce conflit pour le pouvoir, se posèrent la célèbre question : «Qui tue qui ?».

 

Cette posture en observateur que tenaient les Kabyles, inspira au pouvoir de Chadli ben Djedid une tentative de conciliation avec la Kabylie. Cette démarche fut renouvelée, mais fut l’occasion pour le président d’essuyer de nombreux échecs. L’idée maîtresses de cette nouvelle approche de la « question kabyle » par les généraux, était que si l’on pouvait contrôler la Kabylie, l’Algérie entière était acquise. Il fallait donc pérenniser cette politique, tout en contrôlant les revendications berbéristes. Cette valse à deux temps porta alors le pouvoir des généraux vers une attitude perçue par les populations concernées comme ambivalente et floue. Le seul élément clair qui ressortait de ces tentatives du gouvernement, était qu’il recherchait à assainir ses relations avec une région revendicative certes, mais dont la population pacifiste formait avec la population arabe, un consensus contre la violence. L’ONG Human Rights Watch estimait qu’au 1er avril 1992, près de 7000 citoyens auraient été arrêtés par les services de sécurité dans le cadre de la vaste campagne de répression touchant le mouvement islamiste. Celui-ci constata rapidement que la Kabylie était une région pacifique et montagneuse, autant dire idéale, pour l’implantation de leurs maquis.

    

Massifs montagneux de Kabylie



La situation se compliqua lorsqu'un
groupe armé enleva le 25 septembre 1994, le très aimé chanteur Matoub Lounès près de Taourirt Moussa, à 35 km de la ville de Tizi-Ouzou  Le MCB tendance RCD menaça de déclencher une guerre totale contre les islamistes si le chanteur n'était pas libéré avant le 28 septembre. Cela produisit un grand effet, à tel point que l’ultimatum fut annulé quelques jours plus tard. La sagesse de la population et la maturité du FFS dans la région ont fait capoter ce kidnapping. Certains militants de la région parleront par la suite de plan concocté par un clan du pouvoir avec la complicité des activistes de la région. Le MCB, sorti renforcé par ce coup d’éclat, put ainsi poursuivre son action et, nanti d’un important soutien populaire, appela à un boycott de l'année scolaire 1994-1995 "jusqu'à l'introduction de tamazight à l'école". Pourtant, les violences liées à la présence des groupes armés en Algérie se poursuivaient. Au début de l’année 1995, les chancelleries occidentales évaluèrent à 30 000 le nombre de morts depuis le coup d'Etat du 11 janvier 1992.

 

Les affrontements en Algérie avaient créé une situation d’instabilité continue, qui devait être résolue. C’est pourquoi une action diplomatique fut lancée par un organe rattaché au Saint-Siège, qui créa la plate-forme de négociations de Sant’Egidio  pour l’Algérie, en 1995. Celle-ci permit d’affirmer les observations suivantes. Les partis de l'opposition algérienne, réunis à Rome auprès de la Communauté de Sant’Egidio, déclarent en le 13 janvier 1995 :
"L'Algérie traverse aujourd'hui une épreuve tragique sans précédent. Plus de trente ans après avoir chèrement payé son indépendance, le peuple n'a pas pu voir se réaliser les principes et tous les objectifs du 1er novembre 1954 et a vu s'éloigner progressivement tous les espoirs nés après octobre 1988. Aujourd'hui le peuple algérien vit un climat de terreur jamais égalé, aggravé par des conditions sociales et économiques intolérables. Dans cette guerre sans images : séquestrations, disparitions, assassinats, torture systématisée, mutilations et représailles sont devenus le lot quotidien des Algériennes et des Algériens. Les conséquences des événements de juin 1991 et du coup d'Etat du 11 janvier 1992, l'interruption du processus électoral, la fermeture du champ politique, la dissolution du FIS, l'instauration de l'état d'urgence et les mesures répressives et les réactions qu'elles ont suscitées, ont engendré une logique d'affrontement. Depuis, la violence n'a cessé de s'amplifier et de s'étendre. Les tentatives du pouvoir de créer des milices au sein de la population marquent une nouvelle étape dans la politique du pire. Les risques de guerre civile sont réels, menaçant l'intégrité physique du peuple, l'unité du pays et la souveraineté nationale. L'urgence d'une solution globale, politique et équitable s'impose afin d'ouvrir d'autres perspectives à une population qui aspire à la paix et à la légitimité populaire. Le pouvoir n'a initié que de faux dialogues qui ont servi de paravents à des décisions unilatérales et à la politique du fait accompli. Une véritable négociation reste l'unique moyen de parvenir à une issue pacifique et démocratique".

 
Au cours de deux réunions organisées par Sant’Egidio, à Rome, les leaders des principaux partis politiques algériens se rencontrèrent alors qu’ils ne s’étaient plus vus depuis des années. La plate-forme était une « offre » de paix pour sortir de la violence sur la base de valeurs partagées et dans la perspective du nécessaire processus de démocratisation de la société et de la vie politique. Le document ne fut pas accepté par le régime en place mais il reste, jusqu’au référendum sur la concorde civile de 1999 et jusqu’à ce jour, l’unique document largement consensuel produit par les acteurs politiques du pays. L’esprit et la méthode de la plate-forme de Rome sont aujourd’hui encore considérés en l’Algérie comme un modèle pour la réconciliation et les développements ultérieurs sur la voie de la paix.

 

Le 30 janvier 1994 Liamine Zeroual est désigné à la tête de l'état pour assurer  la période de transition avant les élections présidentielles. Il est le premier président à avoir été élu dans le cadre d’un  scrutin pluraliste le 16 novembre 1995.  Cependant, il fut le continuateur de la politique d’arabisation, donc partisan de la politique ambivalente et floue, à l’égard de la Kabylie. Celle-ci consistait à tenter de recréer un climat de stabilité dans les relations entre le pouvoir et cette région, tout en en contrôlant les revendications identitaires. Ainsi, l’on put observer des élans de générosité des dirigeants, des gestes destinés à être autant de facteurs d’apaisement, et qui s’inscrivent dans une période troublée par l’agitation terroriste. Dans un discours prononcé le 19 novembre 1994, le chef du gouvernement algérien Mokdad Sifi, faisant preuve d’ouverture et de volonté de concorde, affirmait : « l’Algérie ne peut nier l’existence millénaire de l’identité amazigh ». Le 28 mai 1995, la présidence de la République créait un Haut commissariat à l’Amazighité (HCA), supposé étudier les modalités d’introduction du tamazight dans l’enseignement et la communication. Le Tamazight fut donc proposé aux étudiants de terminale, en option facultative, non évaluée à l’épreuve du baccalauréat. Egalement, à la suite de Sant’Egidio, la constitution algérienne adoptée par référendum en 1996 affirme dans son préambule que « les valeurs et les composantes de l’identité algérienne sont l’islam, l’arabité et l’amazighité », mais ne contient pourtant aucune autre disposition à ce sujet.

 

4/ De l’arrivée de M.Bouteflika au soulèvement du printemps 2001

 

Le 11 septembre 1998, Liamine Zeroual annonce dans son discours à la nation la  tenue  d’élections présidentielles anticipées. Il quitte la présidence de la république le 27 Avril 1999.

Lors de la consultation du 15 avril 1999, qui a vu l’élection de Bouteflika avec 74% des suffrages, le taux d’abstention en Kabylie a dépassé les 90 %. Il a été de l’ordre de 60 % lors du référendum sur la « concorde civile » organisé six mois plus tard.

En fait, les Kabyles ont suivi jusque-là à la lettre les consignes de leurs partis (le FFS de Hocine Ait Ahmed et le RCD de Saïd Saadi) : ils votaient massivement pour eux et s’abstenaient automatiquement en leur absence.

 

Le 18 Avril 2001, un jeune lycéen, Massinissa Guermah, décrit comme un criminel, est tué de six balles de kalachnikov par un gendarme, dans l’enceinte de la brigade de Béni Douala (commune kabyle). S’ensuivit un soulèvement populaire qui enflamma la région. Le bilan du soulèvement de la Kabylie au printemps 2001 fut lourd, et le camouflet sévère pour un pouvoir algérien en mal de reconnaissance internationale. Certes, la stigmatisation de la Kabylie est un réflexe courant des régimes algériens successifs. Mais le phénomène s’est aggravé depuis le début de la période d’insécurité liée à l’affrontement entre l’Etat et les groupes armés. Le spectre islamiste permit à certains cercles du pouvoir de précipiter la région dans un conflit meurtrier. La transplantation de maquis « islamistes » dans les massifs kabyles la mise sur pied de Groupes de légitimes défense (GLD) locaux à la solde de l’armée plaide en ce sens. Porteuse d’une revendication identitaire spécifique, la Kabylie est devenue la « bête noire » d’un État algérien centralisateur, tenu par les généraux, qui refuse de renoncer à ses sacro-saintes valeurs d’arabité et d’islamité.

 

La spontanéité et la force du soulèvement de 2001, firent que les partis kabyles ne surent pas exprimer un soutien clair au mouvement populaire. Depuis ce moment, les Berbères d’Algérie ne soutiennent plus aussi fermement leurs leaders politiques. Des tractations financières entre le pouvoir et certains hommes politiques, tel Saïd Sadi du RCD (rentré au gouvernement), achevèrent de miner la confiance des Berbères en leurs propres partis. Depuis 2001, les troubles se sont poursuivis de manière récurrente. Les derniers événements ont spontanément réactivé les structures politiques ancestrales : des assemblées et comités de villages sont créés (les Arouch), des représentants locaux de ces assemblées sont institués, et traitent directement avec l’Etat Algérien. Le gouvernement semble pour sa part tabler sur un pourrissement de la situation et a certes répondu partiellement aux revendications des Arouch : une commission nationale d'enquête sur les homicides en Kabylie, dirigée par le professeur Issaâd et installée par le président de la République lui-même le 2 mai 2001, a conclu que «les protestations violentes de la population avaient été provoquées par les agissements des gendarmes (qui) étaient intervenus sans y avoir été invités par les autorités civiles comme le prévoit la loi.

 

Depuis, de nombreuses unités de gendarmerie ont quitté la Kabylie. Le berbère a obtenu le statut de langue nationale en avril 2002, mais pas celui de langue officielle et fut ainsi privée de financement pour son développement et son enrichissement. Mais les autorités algériennes ont aussi, en octobre dernier, arrêté et emprisonné plusieurs délégués des Arouch. Des comités qui réclament, outre des condamnations de justice pour la mort des manifestants tombés au printemps 2001, « l’instauration d’un État garantissant tous les droits socio-économiques et toutes les libertés démocratiques ».

 


 

 

CONCLUSION 

 

         L’originalité culturelle du peuple Berbère a historiquement résisté aux différentes puissances qui se sont succédées au Maghreb. Les luttes nationales contre les empires coloniaux  ont vu Arabes et Berbères associés pour un même objectif : l’indépendance de leur territoire. Cependant, l’Etat qui se forma en Algérie sous la présidence de Ben Bella, s’opposait clairement à la reconnaissance de deux identités nationales, dans la crainte d’une sécession de la Kabylie. Les Kabyles de leur côté, revendiquaient la reconnaissance de leur langue, craignant une arabisation qui l’étoufferait. Ainsi, les différents soulèvements opposaient les Kabyles au pouvoir central, sans concerner les populations arabes d’Algérie. De 1980 à 2006, les revendications kabyles sont de tous ordres, et concernent en particulier l’absence d’investissements de l’Etat dans toute la région, et l’accaparement du pouvoir par les généraux. Cette marginalisation par rapport aux autres régions, participe donc du cloisonnement identitaire entre des Berbères. Ceux-ci n'ont plus de partis donnant une direction politique, et les Arouchs sont aujourd’hui discréditées par la corruption. Les manifestations ne sont plus organisées par des structures politiques mais par des étudiants, spontanément, en réaction aux provocations de l’Etat.


          Les populations berbères se concentrent ainsi sur les célébrations du printemps berbère (20 avril), ainsi que des différents événements du passé. La violence n’est aujourd’hui plus privilégiée par le pouvoir, et en ordonnant une uniformisation de l’enseignement, les quarante deux écoles privées francophones de Kabylie, l’Etat change de stratégie, tout en respectant ses engagements internationaux. Car ces écoles promeuvent en fait, une diversité culturelle qui ne correspond pas au projet centralisateur du pouvoir. On constate donc qu’en s’attaquant à elles, l’Etat est dans sa dynamique continue de contrôle de l’existence et de l’expansion de la culture Berbère. Le même phénomène a cours au Maroc voisin, qui cherche également à maîtriser les revendications identitaires des Berbères, qui forment 40% de la population, dont l’existence est officiellement niée.  L’Etat algérien renforce sa coopération avec les organisations issues de l’Union Européenne, assurant de cette façon sa légitimité internationale. Les Berbères d’Algérie, traités en minorité par l’Etat, se dépolitisent, diminuant ainsi leur capacité d’action et de revendication. Cependant, rien n’est absolument fixé quant au statut de la culture Berbère, car l’Algérie est soumise à l’influence de l’Union Européenne et de la politique énergétique américaine, et plus globalement, du mouvement mondial pour le développement de la démocratie.

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie simplifiée

 

 

 Ouvrages :

 

Encyclopédie berbère, Edisud, Aix-en-Provence, 1992 ;

L’Etat du Maghreb, La Découverte, Paris, 1991 ;

Salem Chaker, Berbères d’aujourd’hui, L’Harmattan, Paris, 1989.

Les Kabyles : éléments pour la compréhension de l’identité berbère en Algérie, Groupement pour les droits des minorités, Paris, 1992 ;

 

 Presse :

 

Archives des quotidiens :


El-Watan

Le Soir d’Algérie

Le Matin

 

 Internet :

 

www.algeriawatch.org

www.santegidio.org

www.waac.info

www.kabylie.com

www.wikipedia.org